Prévention routière, pourquoi ça ne fonctionne pas.
Cela ne vous a pas échappé : les campagnes de communication sur la prévention routière sont principalement axées autour du thème de la mort et du danger. C’est compréhensible, la logique voudrait qu’évoquer les risques de mortalité inhibe les comportements dangereux. Malheureusement les recherches récentes prouvent que c’est plutôt le contraire qui se produit. La psychologie humaine est bien plus complexe que l’on pourrait croire. Je vous propose donc de voir ensemble comment fonctionne vraiment le comportement humain pour que votre prochaine campagne de publicité ne provoque pas plus d’accidents de la route qu’elle n’en évite. Voilà le plan sur lequel nous allons nous baser pour cela :
- Un historique des campagnes sur la prévention routière.
- Quelle efficacité pour la communication sur la prévention routière ?
- Le problème de la communication par la peur dans la sécurité routière.
- Une meilleure stratégie de communication pour prévenir les dangers de la route ?
1.
Un historique des campagnes sur la prévention routière.
Avant toute chose, remettons-nous à jour. Bien que la prévention routière soit bonne cliente des agences de publicité et de relations publiques, les stratégies de communication qu’on lui affuble sont souvent similaires. En revanche, c’est leur exécution créative qui fait la différence. Prenons pour exemple deux campagnes.
• La publicité « la vie est trop douce pour griller un stop » (voir) pour une campagne de l’agence DDB Paris.
• La publicité « perte d’adhérence » (voir) pour un campagne de l’agence La Chose.
Ces deux campagnes abordent un ton très différent l’une de l’autre. La campagne de DDB semble bien plus optimiste que celle de l’agence La Chose. Pourtant, elles évoquent toutes les deux l’idée de la mort. Dans des termes plus scientifiques on dira que la mort est rendue « saillante« .
Une autre campagne de communication plus ancienne est celle de l’agence MullenLowe, ci-contre. Encore une fois, on retrouve cette suggestion de la mort à travers son copywriting « vous sauver la vie ». La saillance de la mort est partout. On la retrouve dans les campagnes TV et OLV de Serviceplan (voir), de DDB (voir), de BBDO (voir) d’agences indépendantes comme lg2 (voir) ou Mortierbrigade qui a d’ailleurs été récompensée cette année à Cannes Lions pour cette publicité (voir).
La sécurité routière n’est pas une affaire de compétition, on peut donc comprendre que ces stratégies de communication empruntent toutes la même orientation. Mais quel est le retour comportemental réel de ces campagnes ? Les planneurs stratégiques ont-ils admis trop rapidement que leurs intuitions étaient les bonnes (un indice, la réponse est oui) ?
2.
Quelle efficacité pour la communication sur la prévention routière ?
La réponse est surprenante. Depuis 1999, des scientifiques ont démontré que la saillance de la mort dans la publicité a tendance à augmenter les comportements à risques [1], [2], [3]. Vous avez bien compris : les campagnes de communication qui mettent en garde contre les comportements dangereux peuvent favoriser l’apparition de ces comportements.
Cela s’explique par ce que l’on appelle en psychologie la théorie de la gestion de la peur. Contrairement à d’autres animaux, l’être humain est conscient de sa nature mortelle. Lorsque l’on rend la mort saillante, le cerveau va s’engager dans des comportements lui procurant la sensation d’être « éternel » ou lui donnant l’impression que sa vie a un sens [4], [5], [6]. Il s’agit d’un mécanisme de défense qui permet de réduire l’anxiété provoquée par la saillance de la mort. Ce phénomène peut justement être enclanché par des campagnes de communication suggérant des risques de périr. Mais vous ne voyez probablement pas en quoi cela peut saboter une campagne de prévention routière. Regardons cela plus en détails.
Ci-contre un print d’Ogilvy & Mather Bangkok.
3.
Le problème de la communication par la peur dans la sécurité routière.
D’après la théorie de la gestion de la peur, la saillance de la mort provoque une réaction (expliquée plus haut) qui se manifeste de deux manières:
• La réponse proximale à court terme consiste à simplement réfuter la communication qui suggère la mort (exemple: « cela n’arrive qu’aux autres », « je sais ce que je fais », « ça fait 20 ans que je m’y prends comme ça, c’est pas aujourd’hui que je vais en mourir », etc…) [5] .
• La réponse distale à long terme se divise elle-même en deux sortes.
- Dans sa première forme, elle consiste en la création d’un système de croyances personnelles qui donnent un sens, une valeur et une signification au monde. Ce système de croyances permet à l’individu d’espérer une immortalité surnaturelle (soutenue par des croyances spirituelles) et une immortalité naturelle (soutenue par une ambition d’accomplissement, de s’inscrire dans une certaine postérité, d’être reconnu, etc…). Mais c’est le deuxième type de réponse distale à long terme qui nous intéresse vraiment.
- La deuxième forme de réponse distale consiste à accentuer les comportements démontrant une estime de soi et à surperformer dans des critères culturellement valorisants [5], [6], [7], [8] .
C’est là qu’est le problème de la communication par la peur dans la publicité pour la sécurité routière : Certains comportements sont perçus comme des marqueurs d’estime de soi et sont déclenchés par la saillance de la mort, alors qu’ils sont justement des comportements à risques mortels. Parmi ces comportements on retrouve celui d’une conduite assurée, voir risquée. L’échec d’une telle campagne de communication se produit donc en 4 temps :
1.Une publicité sur la sécurité routière fait saillir la mort.
2.La saillance de la mort active un mécanisme de défense psychologique (un besoin d’affirmer son estime de soi).
3.Une conduite trop confiante est identifiée comme un marqueur d’estime de soi.
4.L’individu s’engage dans une conduite plus agressive qu’à l’accoutumé.
4.
Une meilleure stratégie de communication pour prévenir les dangers de la route ?
Tout n’est pas perdu pour votre campagne de prévention. Un détail qui peut vous aider est le suivant : rappelez-vous que la théorie de la gestion de la peur ne s’opère que dans des conditions qui rendent la mort saillante. Par conséquent, si votre publicité doit renforcer l’idée que « conduire vite peut tuer », veillez simplement à ce que le public ne soit pas exposé au message au moment même où il conduit. Évitez donc de tels messages sur les panneaux en bords d’autoroutes (c’est contre intuitif, j’en conviens). Préférez les publicités TV, OLV, les prints dans les magazines, mais toujours en prenant soin de ne pas exposer le public dans la situation précise où il se trouve au volant.
Toutefois, certaines campagnes de prévention routière requièrent des touch points où la cible est en effet dans une situation de conduite. Heureusement, une méta-analyse révèle que chez les individus pour qui la conduite n’est pas un marqueur d’estime de soi, la théorie de la gestion de la peur n’a pas ou peu d’effets [3]. Utiliser la saillance de la mort dans votre communication exige donc en amont que vous ayez brisé le lien « confiance en soi / conduite sportive » dans l’esprit de votre cible. Pour dire les choses autrement, communiquer avec la mort suggère une première étape de la campagne où l’on s’assure que le comportement que l’on souhaite diminuer ne soit pas perçu comme un vecteur de confiance en soi.
Enfin, la dernière possibilité pour inhiber la théorie de la gestion de la peur est tout simplement de ne pas évoquer la mort. Par exemple en suggérant les avantages d’une conduite responsable plutôt que les risques d’une conduite dangereuse.
J’espère que ce court article vous a apporté une meilleure compréhension du sujet. Si tel a été le cas, vous pouvez être averti des nouveaux articles en renseignant votre adresse mail ci-dessous. Si vous avez des questions ou que vous avez besoin d’une stratégie pour une campagne de communication sur ce sujet, n’hésitez pas à me contacter !
Planneur stratégique indépendant.
Sources
[1] Ben-Ari, O. T., Florian, V., & Mikulincer, M. (1999). The impact of mortality salience on reckless driving: A test of terror management mechanisms. Journal of personality and social psychology, 76(1), 35.
[2] Ben-Ari, O. T., Florian, V., & Mikulincer, M. (2000). Does a threat appeal moderate reckless driving? A terror management theory perspective. Accident Analysis & Prevention, 32(1), 1-10.
[3] Burke, B. L., Martens, A., & Faucher, E. H. (2010). Two decades of terror management theory: A meta-analysis of mortality salience research. Personality and Social Psychology Review, 14(2), 155-195.
[4] Shehryar, O., & Hunt, D. M. (2005). A terror management perspective on the persuasiveness of fear appeals. Journal of consumer psychology, 15(4), 275-287.
[5] Goldenberg, J. L., & Arndt, J. (2008). The implications of death for health: a terror management health model for behavioral health promotion. Psychological review, 115(4), 1032.
[6] Routledge, C., & Vess, M. (Eds.). (2018). Handbook of terror management theory. Academic Press.
[7] Arndt, J., Solomon, S., Kasser, T., & Sheldon, K. M. (2004). The urge to splurge: A terror management account of materialism and consumer behavior. Journal of Consumer Psychology, 14(3), 198-212.
[8] Solomon, S., & Arndt, J. (1993). Cash is king: The effect of mortality salience on the appeal of money. Unpublished data, Skidmore College.
- Categories:
- Non classé