22 juillet 2021

Risques d’hypocrisie en RSE, comment éviter une mauvaise image.

Il est difficile de travailler en agence de communication et de ne jamais avoir été confronté à des stratégies marketing engagées ou à des problématiques de RSE. Les politiques responsables sont une réponse naturelle à la sensation qu’ont les consommateurs que les marques sont en déphasage par rapport à la réalité. Dans l’imaginaire collectif, les grandes marques sont souvent le bouc émissaire des malheurs du monde. À ce titre il devient complexe de faire preuve d’exemplarité. La moindre campagne de communication responsable est susceptible de faire passer l’annonceur pour hypocrite et opportuniste. Dans ce nouvel article d’Insight, je vous propose de voir différentes méthodes pour minimiser les risques d’une campagne RSE.

  1. Effets de la communication responsable sur la brand equity.
  2. Les facteurs d’une communication RSE réussie.
  3. Quels sont les types de campagnes RSE ?
  4. Les causes majeures de la RSE.

1.

Effets de la communication responsable sur la brand equity.

Pour comprendre la problématique du risque d’hypocrisie perçue en RSE, il faut d’abord bien assimiler comment les politiques responsables interagissent avec la brand equity. La considération des marques pour leur impact social et sociétal est croissante. Dans beaucoup de cas elle est le fruit d’une pression des consommateurs en matière d’écologie, d’égalité, de santé et plus. Si bien que certaines agences de communication comme Rangoon et Pixelis ont fait du marketing responsable leur spécialité.

Outre nos convictions personnelles respectives, une raison majeure de s’engager dans un business responsable est de s’inscrire dans une approche plus centrée autour du fonctionnement du public. Aujourd’hui, l’évaluation que fait le consommateur de la qualité d’une marque ne se limite plus aux simples caractéristiques de son produit ou de ses services. Les engagements responsables d’une marque ont été prouvés comme étant un facteur influençant indirectement la perception que l’on a de ses produits [2], [3] . Par exemple, les biens et services des marques responsables sont perçus comme plus durables et moins réplicables par les concurrents [4]. De surcroît, le consommateur est disposé à être associé à la marque en fonction de son comportement général et pas uniquement en fonction des seules caractéristiques du produit [5]. Ce ne sont là que deux aspects d’une grande liste d’avantages qu’apportent les stratégies de RSE.

Ce désir du public pour des marques plus responsables se retrouve d’ailleurs dans les statistiques post-épidémiques. L’étude PROSUMER BEYOND COVID19 de HAVAS révèle que 86% des consommateurs ont développé une plus grande confiance envers les marques ayant agi pour protéger les gens contre l’épidémie [6]. Des études de Kantar suggèrent également un gain à long terme pour ces entreprises [9]. À titre d’exemple, la campagne TESCO ci-contre a été l’une des plus performantes en terme de retour à long terme, court terme, de captation de l’attention, de mémorabilité de la marque et de brand love [10], malgré une absence totale d’effort créatif.

En croisant les travaux des chercheurs sur la structure et les effets de la RSE, on obtient le modèle ci dessous [7], [20]. On comprend que d’une manière générale, les politiques de RSE influent sur la brand equity et l’attitude envers la marque. Cependant, il est nécessaire de discriminer la politique RSE des croyances RSE. Les « croyances RSE » désignent à quel point une entreprise est perçue comme responsable dans la tête du consommateur [8]. Il convient donc d’identifier deux notions : Ce que vous faites de concrètement responsable et à quel point vous vous donnez l’air responsable. Que votre entreprise soit exemplaire ne lui garanti pas d’être perçue comme telle. Cette différence entre la RSE concrète et la RSE perçue est le résultat d’un parasitage produit par la « corporate hypocrisy ». Les chercheurs définissent l’hypocrisie  corporate comme « la croyance d’après laquelle une firme clame être quelque chose qu’elle n’est pas […] une hypocrisie corporate apparait lorsqu’il y a une sensation de décalage entre la promesse de la marque et sa performance » [4].

RSE & brand equity

Pour ne rien arranger, à l’hypocrisie corporate s’ajoute le fait que le consommateur a une tendance naturelle à surestimer le négatif et à sous-estimer le positif. Il s’agit là d’un mécanisme psychologique que vous devez déjà connaître sous le nom de « biais de négativité ». Les retours client négatifs ont plus de crédit que les positifs [1]. C’est donc marcher sur des oeux que de mettre en place une stratégie marketing responsable en place. Voyons dans les parties qui suivent comment maximiser les chances qu’a votre campagne de réussir.

2.

Les facteurs d'une communication RSE réussie.

Mauvaise nouvelle, à priori il n’y a pas de recette complète et universelle pour réussir sa campagne de CSR. En revanche, il y a un ensemble d’éléments qui une fois réunis permettent de maximiser les chances que la campagne soit un succès en limitant les risques d’hypocrisie.

L'action avant la communication

Les chances de générer une hypocrisie corporate sont plus grandes quand l’annonceur communique sur sa politique RSE avant d’en avoir obtenu les résultats. Les campagnes de communication qui présentent des ambitions (ou des simples prises de parti) sont donc plus risquées que celles qui présentent des bilans [11]. Voici ci-contre un exemple de campagne de communication qui illustre ce propos. Il s’agit d’une campagne de BBDO Berlin pour Smart. Cette campagne a aussi l’avantage de respecter le deuxième critère : éviter les auto félicitations.

Éviter l'auto félicitation

Quand une marque donne l’impression de s’autoféliciter elle tend à avoir l’air suspecte, augmentant de facto ses chances de voir apparaître une hypocrisie corporate [12]. Une communication trop élogieuse sur son annonceur peut donc provoquer l’effet inverse de celui désiré. Ainsi, il est de rigueur de trouver des stratagèmes qui permettent de présenter les accomplissements de l’entreprise sans pour autant montrer que l’on souhaite s’en vanter. Un moyen pour cela, par exemple, est de justifier la communication par autre chose. Dans le cas de la campagne ci-contre de Google, le prétexte pour montrer l’innovation RSE est simplement de dire qu’elle est participative et qu’elle est maintenant accessible à tous. Ont peut également citer la publicité de Liebig qui remercie ses consommateurs au lieu de se mettre en avant maladroitement.

BSR communication

Endorser des marques responsables

Il peut arriver que certains annonceurs (comme Coca-Cola, Nike, etc…) aient une image trop irresponsable pour communiquer sur des campagnes CSR sans avoir l’air louche. Un moyen de court-circuiter ce mécanisme est de s’allier à une marque qui fait déjà figure d’autorité dans la discipline (WWF, Greenpeace, Amnesty International, etc…). C’est justement le cas de cette campagne d’endorsement avec WWF et Coca-Cola au Philippines.

La créativité est-elle un facteur requis pour une communication RSE ? Vous remarquez probablement que la communication TESCO montrée plus haut n’est pas créative, bien qu’elle ait eu d’excellents retours. L’originalité à tout prix ne semble pas être le nerf de la guerre dans une campagne de marketing responsable. Il apparait que le public souhaite voir de la sincérité avant de voir de la finesse d’esprit [9].

Ces points précédents ne sont qu’une infime partie de tous les facteurs susceptibles d’impacter le résultat de votre campagne de communication. Un modèle dressé par un groupe de chercheurs (ci-dessous) tente d’identifier les déterminants d’une campagne RSE réussie [13].

Facteurs Communication RSE réussie

L’informativité désigne la capacité de la marque à rendre des comptes sur ce qu’elle fait ainsi que sur la manière dont elle s’y prend. Elle ne doit pas être confondue avec la transparence qui désigne la disposition de la marque à prouver que les informations qu’elle partage sont vraies et qu’il n’y a pas de mensonge par omission. Comme mentionné plus haut, l’endorsement se réfère aux éventuels partenariats de l’annonceur avec des figures légitimes dans le domaine de RSE concerné (écologie, société, protection des données, etc…). Le ton concerne la façon dont l’annonceur communique sur ses campagnes et ses politiques responsables. Nous l’avons évoqué plus haut en abordant le sujet de l’auto félicitation. Le ton approprié peut changer d’une culture à l’autre. Une étude Kantar révèle par exemple que 62% d’Indiens estiment que communiquer avec humour sur l’épidémie de COVID-19 est inapproprié, contre seulement 29% aux Pays-Bas [9]. La consistence désigne la capacité de la marque à rester la même chronologiquement et géographiquement. Le public n’aime visiblement pas les girouettes. Pour cette raison, les marques avec un long passif de politiques RSE (comme Whole Foods Market ou Innocent Drinks) bénéficieront de campagnes naturellement plus efficaces et moins risquées. La cohérence désigne à quel point l’enjeu de RSE dont il est question est en accord avec l’univers de la marque. Unilever aide les agriculteurs, Mcdonald’s aide les enfants, etc…

3.

Quels sont les types de campagnes RSE ?

Se créer une bonne image de marque et éviter l’hypocrisie perçue ne dépend pas seulement de votre capacité à respecter les critères ci-dessus. Les chercheurs suggèrent de diviser les types de campagnes RSE en 4 catégories comme présentées ci-dessous [14].

On dit d’une stratégie qu’elle est dirigée lorsqu’elle bénéficie à une cible susceptible de devenir partie prenante de l’entreprise à l’origine de la campagne RSE. C’est par exemple le cas de cette campagne d’Ogilvy & Mather Brazil pour Dove dont on dira qu’elle est dirigée car elle profite à une cible susceptible de devenir cliente chez Dove.

On dit d’une campagne qu’elle est générale quand elle profite à une cible dont on ne prévoit pas qu’elle devienne partie prenante de l’entreprise. C’est le cas de cette campagne de BETC Paris pour Lacoste. Cette campagne bénéficie aux animaux en voie de disparition et ils ne deviendront à priori ni fournisseurs ni clients chez Lacoste.

On dit d’une campagne qu’elle est réactive lorsqu’elle est une réponse à un événement d’actualité exerçant une pression sur la marque pour agir. C’est par exemple le cas de cette campagne de Memac Ogilvy pour Honda, en réponse au confinement et à la pandémie.

Enfin, on dit d’une campagne qu’elle est proactive dès lors qu’elle n’est pas en réponse à un événement ou une pression extérieure. Il s’agit en quelque sorte de « bonté gratuite ». C’est le cas de cette campagne de l’agence BMB pour Campaign To End Loneliness.

Les différents types de stratégies RSE

Aucune de ces quartes catégories n’est plus recommandée que l’autre, elles ont chacune leur lot d’inconvénients et d’avantages [15], [16], [17]. Les campagnes réactives génèrent davantage de visibilité car elles dépendent d’un événement d’actualité qui fait déjà l’objet de l’intérêt du public. De même, les campagnes dirigées engagent généralement plus les gens dans l’action. En revanche, n’avoir recours qu’a ces deux types de campagnes peut faire passer votre marque pour hypocrite ou opportuniste. Les campagnes proactives et générales sont perçues comme plus sincères mais elles sont également moins efficaces en terme de portée organique. La performance d’une marque dépend de sa capacité à trouver un point d’équilibre entre ces quatre catégories de campagnes RSE.

4.

Les causes majeures de la RSE.

En se référant au rapport Meaningful Brands 2021 de HAVAS [18] (que vous  pouvez vous procurer ici) on peut identifier trois grandes thématiques RSE. Une thématique écologique, sociale et éthique.

L’écologie est peut-être le sujet de RSE le plus investi. Nulle marque n’ignore que son activité a un impact sur l’environnement et qu’il lui appartient d’en assumer les responsabilités. Ce thème se traduit par une multitudes de combats : protection de la faune, de la flore, utilisation d’énergies renouvelables, lutte contre le gaspillage… Les actions écologiques entreprises par une marque peuvent prendre différentes formes en fonction de son business model. Audi, par exemple, a annoncé passer au tout électrique pour 2033 [19]. Stratégie produit accompagnée par une stratégie de communication qui préserve l’image sportive, luxueuse et performante d’Audi tout en tordant le cou stéréotypes sur les voitures électriques. La publicité ci-contre est une campagne de Venables Bell & Partners.

LGBT campaign Burger King

Les combats sociaux jouissent d’un souci croissant de la part de la population. Dans le monde de l’entreprise, le progrès social se traduit par des mesures qui garantissent un respect de l’individu et qui établissent un juste milieu entre l’égalité et l’équité. Certains sujets sont dors-et-déjà bien connus : lutte contre le racisme, contre l’homophobie, contre le sexisme. D’autres, en revanche sont moins populaires, comme la lutte contre la pauvreté, pour des conditions de travail descentes, pour l’éducation… Contrairement à l’écologie, certaines causes sociales ne dépendent pas exclusivement du business model des marques. C’est ce qu’illustre cette campagne ci-contre de TBWA pour Burger King et l’acceptation des LGBT+. Il est important de noter qu’il est maladroit de récupérer les causes sociales pour en faire du marketing. Pour éviter un effet boomerang, une campagne de communication en rapport à des causes sociales doit rester la simple traduction d’une conviction de l’entreprise et ne doit pas être un prétexte pour promouvoir son produit.

Les causes éthiques sont relatives à la fiabilité de la performance de la marque. Chaque produit ou service a son lot d’incertitudes ou de risques. On pourrait donc définir les causes éthiques comme la disposition à limiter ces risques. Dans le cas du marché de la food on pensera par exemple à garantir des produits inoffensifs pour la santé. Dans le cadre d’une marque sur le marché de la tech on pensera davantage au respect des données personnelles. C’est justement le sujet de la publicité ci-contre pour Apple.

Il est probable que votre marque soit concernée par ces trois causes (sociale, écologique et éthique). Pour cette raison il n’est pas pertinent de n’agir que sur une seule d’entre elles. Prévoir des campagnes sur ces trois thématiques permet d’être présent dans l’esprit du consommateur comme une marque proactivement responsable, réduisant ainsi les possibilités d’être victime d’une corporate hypocrisy.

Voilà un bref aperçu de la façon dont on peut planifier une stratégie RSE pour éviter de se tier une balle dans le pied. Pour résumer : Dans un premier temps, identifiez la cause qui parait être la plus pertinente (sociale, écologique ou éthique). Gardez à l’esprit qu’à terme et que quoi qu’il en soit, vous devrez être actif sur ces trois catégories. Ensuite, demandez-vous si votre marque gagnerait davantage à s’inscrire dans une stratégie dirigée vs globale et réactive vs proactive. Cela dépend des campagnes RSE que vous avez mises en marche auparavant ainsi que du contexte et de vos objectifs. Enfin, planifiez votre campagne en prêtant attention à la liste des facteurs clés que l’on a vu plus haut. Qui plus est, tout au long de ces étapes, il est rigoureux de garder à l’esprit qu’une campagne de communication RSE doit de préférence être précédée d’actions concrètes (encore une fois, le public préfère les bilans aux promesses).

J’espère que ce court article vous a apporté une meilleure compréhension du sujet. Si tel a été le cas, vous pouvez être averti des nouveaux articles en renseignant votre adresse mail ci-dessous. Si vous avez des questions ou que vous avez besoin d’une stratégie pour une campagne de communication sur ce sujet, n’hésitez pas à me contacter !

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Victor

Planneur stratégique indépendant.

Sources

[1] Chen, Z., & Lurie, N. H. (2013). Temporal contiguity and negativity bias in the impact of online word of mouth. Journal of Marketing Research50(4), 463-476.

[2] Guèvremont, A., & Grohmann, B. (2018). Does brand authenticity alleviate the effect of brand scandals?. Journal of Brand Management, 25(4), 322-336.

[3] Keller, K., & Aaker, D. (1995). Managing the corporate brand: the effects of corporate images and brand extensions. Building Strong Brands.

[4] Lynch, J., & De Chernatony, L. (2004). The power of emotion: Brand communication in business-to-business markets. Journal of Brand management, 11(5), 403-419.

[5] Tench, R., Sun, W., & Jones, B. (2014). Introduction: CSR communication as an emerging field of study. In Communicating corporate social responsibility: Perspectives and practice. Emerald Group Publishing Limited.

[6] PROMSUER BEYOND COVID-19. Havas.

[7] Wagner, T., Lutz, R. J., & Weitz, B. A. (2009). Corporate hypocrisy: Overcoming the threat of inconsistent corporate social responsibility perceptions. Journal of marketing, 73(6), 77-91.

[8] Du, S., Bhattacharya, C. B., & Sen, S. (2007). Reaping relational rewards from corporate social responsibility: The role of competitive positioning. International journal of research in marketing, 24(3), 224-241.

[9] Poole, D. Advertising with authentic empathy during COVID-19. Kantar.

[10] Hammett, H., (2020). Heinz, Tesco and Aldi behind ‘most effective’ Covid-19 ads. MarketingWeek.

[11] Barden, J., Rucker, D. D., & Petty, R. E. (2005). “Saying one thing and doing another”: Examining the impact of event order on hypocrisy judgments of others. Personality and Social Psychology Bulletin, 31(11), 1463-1474.¨

[12] Beverland, M. (2005). Brand management and the challenge of authenticity. Journal of Product & Brand Management.

[13] Kim, S., & Ferguson, M. A. T. (2018). Dimensions of effective CSR communication based on public expectations. Journal of Marketing Communications, 24(6), 549-567.

[14] Ricks, J. M. (2005). An assessment of strategic corporate philanthropy on perceptions of brand equity variables. Journal of Consumer Marketing.

[15] Vanhamme, J., & Grobben, B. (2009). “Too good to be true!”. The effectiveness of CSR history in countering negative publicity. Journal of Business Ethics, 85(2), 273-283.

[16] Bettman, J. R. (1979). Information processing theory of consumer choice. Addison-Wesley Pub. Co..

[17] Barret, J. P., Wolf, S. E., Desai, M. H., & Herndon, D. N. (2000). Cost-efficacy of cultured epidermal autografts in massive pediatric burns. Annals of surgery, 231(6), 869.

[18] MEANINGFUL BRANDS™ 2021

[19] Freitz, A. (2021). Audi passera au tout électrique en 2033. LesEchos.

[20] Lai, C. S., Chiu, C. J., Yang, C. F., & Pai, D. C. (2010). The effects of corporate social responsibility on brand performance: The mediating.

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